.jpg)
Le projet de théâtre de rue SOAN Communication, autour du chantier de rénovation de la Petite Pierre, touche à sa fin après avoir brouillé les frontières entre réalité et fiction pendant près de deux ans.
Tout a commencé en avril 2021 lorsque l'équipe de la Petite Pierre, lieu culturel implanté à Jegun depuis bientôt 25 ans, passe à Mariette Delinière et Marion Dupouy Mason de la Cie Kiroul (sa compagnie co-fondatrice et associée) la commande d'un PACT, projet artistique et culturel de territoire pour établir un lien artistique entre le grand chantier de rénovation qui va démarrer sur son site, et les habitant.es des alentours.
L'idée de créer une fausse agence de communication, censée accompagner l'association dans ce « virage vers la modernité », germe rapidement, jouant avec les codes des starts-ups, le regard condescendant porté par les urbain.es sur le monde rural et les astuces à peine déguisées du greenwashing.
Des outils sont créés, site Internet, page Facebook, calicot, cartes de visite... et le canular prend forme sur le terrain à travers les personnages de Sophie Pier et Anne Petite « agentes de surcommunication et influenceuses urbaines en milieu rural » imaginés et interprétés par Mariette et Marion.
Armées d'un vocabulaire (lutter pour la survie rurale, campagne cross media en zone blanche...) et de propositions à l'avenant (création de golf, karting, espace aqua poney et piscine bio), elles arpentent pendant plusieurs mois Jegun, Castéra-Verduzan et Lavardens pour promouvoir leur projet : transformer la Petite Pierre en Grosse Caillasse.
Des mouvements de terrain
« L'accueil des habitant.es et des commerçant.es a été déterminant : au début une curiosité mêlée de méfiance pour cette démarche qui se présentait comme innovante, et pour finir un échange réel sur les besoins du territoire, sa dynamique culturelle, sociale, économique. Certain.es ont défendu la Petite Pierre bec et ongles pour qu'on ne lui ôte pas sa dimension artisanale et son nom « poétique » ! » racontent les deux comédiennes qui ont écrit leur trame au fur et à mesure des rencontres usant de l'improvisation.
« C'est une forme à laquelle tout le monde n'est pas habitué : du théâtre qui fait irruption dans la rue, dans le quotidien, au marché, à la radio locale... Et c'est ce que nous défendons : que l'art investisse l'espace public, qu'il surprenne, déroute. On a jubilé de voir ce projet prendre forme à la fois sur le terrain et par le biais des supports de communication, relais de la presse, traces photo et audio... Qu'il ait fait débat aussi ! » résume Claire Garnier de la Petite Pierre qui a eu toute confiance en ce binôme pour opérer le glissement de la réalité du chantier vers le fantasme et le second degré.
Finir un 1er avril
L'agence a également organisé plusieurs visites du chantier en cours pour finir par une apothéose (humide !) : l'Inauguration de la Grosse Caillasse le 1er avril (évidemment!) 2023.
« Pour cette visite finale, nous avons fait appel à plusieurs complices, notamment nos collègues de la Cie Kiroul qui ont peuplé le lieu et donné le relief poétique nécessaire : on tient à toujours rester sur le fil entre ouvrir l'imaginaire et dénoncer par l'absurde certaines politiques dites de désenclavement rural qui, à grands coups de concepts, formatent et uniformisent les initiatives locales », explique Marion, amatrice d'acronymes abscons, qui a assuré la partie rédactionnelle du site Internet parodique.
Pendant ces deux ans, le projet a aussi accumulé les traces de cette histoire, présentées le 1er avril.
Deux randonneuses, autres personnages interprétés par les mêmes comédiennes, ont ainsi mené un discret reportage audio sur la thématique « Mais où se trouve la Petite Pierre ? ». L'occasion de parler signalétique et transport en milieu rural et de faire appel à la mémoire des habitant.es, pas avares en anecdotes.
Soucieuse de montrer l'humain qui se cache derrière les lieux, Mariette, photographe, a également réalisé une grande série de portraits en noir et blanc des artisans qui sont intervenus sur le chantier, capturés en plein labeur ou au repos. L'exposition de ces femmes et hommes qui ont façonné le nouveau visage de la Petite Pierre, très émouvante, était présentée le jour de l'Inauguration.
A noter que pour cette journée exceptionnelle, Soan Communication avait proposé à la Petite Pierre d'affréter (et d'animer !) un bus desservant Auch et Jegun pour acheminer les spectateurices plus éloigné.es jusqu'au lieu des festivités, surfant une nouvelle fois sur la vague de l'éco-responsabilité : un succès qui aura permis à tous et toutes de profiter du bal organisé à la salle des fêtes de Jegun en soirée et de rentrer à bon port.
Pour clôturer ce projet, la compagnie et la Petite Pierre ont imaginé bien évidemment une conservation de ses traces : les photographies seront exposées à la Petite Pierre, et le site Internet de SOAN, qui restera en ligne, accueillera la mémoire de cette aventure (vidéos, photos, textes, articles et interviews).
https://www.facebook.com/SOANCommunication
Mariette et Marion ont rangé les escarpins crottés, mais n'excluent pas l'idée de faire réapparaître leur binôme sur une autre thématique, qui leur permettrait de conjuguer les compétences de chacune et leur complicité de jeu.
En attendant, elles sont déjà bien prises par les projets de la Cie Kiroul, qui œuvre à la création de deux projets : des expériences théâtrales immersives intitulées A la Recherche, et le spectacle de théâtre de rue Jours, qui devrait sortir l'été prochain.
A noter que le spectacle Allant vers, créé en 2021 et déjà chroniqué avec enthousiasme dans nos colonnes, se jouera en ouverture de la saison de l'Astrada à Marciac, le samedi 30 septembre à 20h30.
Texte : Marion DUPOUY MASON
