Mémoires d'une épicerie d'autrefois

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Mercredi dernier, en collaboration avec l'association "Au fil du temps" de Lupiac, la section locale de la société archéologique du Gers organisait une conférence sur le multi-service de Bazile Soucarret en  1893.

Dans le prolongement de cette conférence et dans le cadre de notre rubrique "Revenons sur nos pas", nous vous proposons de retrouver les successeurs de Bazile Soucaret, la famille Dubos.

Pour son ouvrage "Petites histoires à la veillée", Pierre Dupouy avait passé un après-midi avec Josette Aurensan née Dubos - aujourd'hui disparue -  dans son épicerie de Lupiac.

«  Ici, pas de néon éblouissant, pas de panneau publicitaire racoleur.

Pourtant, on s’arrête «chez Dubos » comme on dit à Lupiac, bien que l’épicerie du village soit tenue depuis 1971 par Josette Aurensan, née Dubos, leur descendante.

Josette, c’est la mémoire du magasin, aidée en cela par une foule d’objets qui ont tous une âme.

Nous l’avons écoutée. Avec elle, nous avons feuilleté les livres de comptes, grimpé sur les escabeaux pour mieux voir « les marchandises », véritables pièces de collection.

De plus, Josette a volontairement gardé à son magasin son caractère désuet.

Seules touches concédées au modernisme : une balance électronique et un meuble frigorifique présentoir.

Au début du siècle, Louis Dubos invente « la grande surface ». Il aménage l’épicerie Soucarret.

Il achète plusieurs maisons contigües et s’étale donc dans la grande rue de Lupiac.

Louis Dubos avait compris qu’il fallait diversifier au maximum les produits à proposer à la clientèle locale.

Il savait que cette population, qui n’avait pas de moyen de locomotion, devait pouvoir trouver là tout ce dont elle avait besoin.

Depuis les clous à sabot en passant par le sulfate pour la vigne, les chaînes pour les bêtes, la peinture pour les torchis dans les chambres ou la cuisine, les cierges, les chapelets, la confection courante, et bien sûr, la plus large gamme possible de produits alimentaires.

Louis Dubos avait fait des études « chez les curés » - pour reprendre une expression qui était courante à l’époque et classait son homme - à Bassoues.

Il avait le sens du commerce et se projetait avec justesse dans l’avenir.

Il avait des idées et les faisait réaliser car c’était le « monsieur » en col cassé et canotier.

Il dénicha en Laffitte, menuisier à Lupiac, un homme de l’art et ils créèrent un système d’étagères, de tiroirs, de présentoirs fonctionnels et esthétiques.

Un passage était prévu derrière tous les tiroirs pour permettre au chat, qui s’introduisait par une chatière dans la pièce voisine, de mener à bien la chasse aux souris !

Ils avaient aussi le sens de l’économie.

Tous les fonds de tiroir étaient fabriqués avec des planches de récupération des caisses de marchandises.

On peut y lire « chocolat Menier » ou « morue de Terre-Neuve".

Son neveu Charles Dubos, prit la suite en 1931. Il épousa Lydia Morlan qui avait pignon sur rue avec son épicerie sous les arcades. La concurrence fut ainsi éliminée.

C'était une période faste pour le commerce local. Lupiac comptait plus de 1000 habitants et la clientèle était fidèle. Charles organisa des tournées, développa un commerce de grains et engrais. Il tailla même le verre pour remplacer les vitres.

Josette Aurensan se souvient de cette époque : « On torréfiait le café, ça embaumait dans le village et vite on arrivait pour en acheter, mais des quantités modestes tout de même.

L'huile se vendait à la tireuse, poursuit-elle, les clientes arrivaient avec leur bouteille et on leur en servait à la pompe un quart de litre. Elle n'était consommée que pour assaisonner légèrement les salades car la matière grasse était la graisse de cochon ou d'oie. L’hiver, l'huile se figeait dans le bidon et pour qu'elle puisse monter dans la pompe, on entourait le fût de braise. »

Josette nous montre une série d'étiquettes du temps de Louis Dubos, «  huile d'olive garantie pure vierge de Nice, qualité supérieure ». Il paraît que seule l'étiquette changeait. Le produit était tiré au même bidon.

« Le vendredi, nous dit Josette, il y avait l'opération morue dessalée. Nous la mettions avec de l'eau dans un grand récipient en verre (une grésalo).

Les olives se vendaient avec les noyaux ou dénoyautées et, dans ce dernier cas, ma mère s'activait avec une sorte de pince à enlever les noyaux.

La moutarde était livrée à la louche. Les clients arrivaient avec leur verre mais certains fabriquaient ce produit avec des graines de moustardoun qu’ils écrasaient et mélangaient à du moût de raisin. 

Sur les étagères, à côté de la balance Roberval et des récipients en bois qui servaient à mesurer les poids ronds ou cassés, le riz ou autre céréales, trônent encore des boîtes de « blanc d'Espagne » pour blanchir les sandales, les boîtes à amidon pour raidir les cols, la boîte à encens, un produit qu'on fournissait au curé.

Les touristes anglais qui ne manquent pas de faire une halte dans l'épicerie lupiacoise ont leur attention attirée par une publicité fort ancienne et mise en valeur par Josette dans la partie « musée » de son magasin. Un bambin joufflu présente « The premier biscuit og Britain digestives, Mac Vitrie et Price ».

Cette firme existerait encore mais sous un autre nom.

Un produit spécifique identifie l' épicerie « Chez Dubos ». Il s'agit de la fleur d'oranger, recette maison. « Je la tiens de ma mère », précise Josette en débouchant une bouteille d’où s'exhale un parfum composé. « C'est un dosage de divers produits. On vient chez moi pour ma fleur d'oranger. »

Celle-ci a d'ailleurs conquis Déborah Roberts et Victoire de Montesquiou qui dans leurs ouvrages Vivre à la campagne conseillent dans leurs recettes de parfumer les pâtisseries avec la fleur d'oranger, recette de Josette Aurensan à Lupiac.

« Quelle période difficile que 1940, affirme Josette, les gens avaient parfois leurs tickets ou leurs bons et nous ne pouvions pas les servir car nous n’avions pas la marchandise. Nous passions des soirées à coller les tickets sur de grandes feuilles. Notre grossiste, les établissements Rouède ne livraient qu’en échange des « papiers » et contrôlaient au gramme près. Nous étions visités par José Alvarez qui faisait ses tournées de prospection à vélo »

Josette a retrouvé des affichettes qui se collaient sur les colis envoyés aux prisonniers lors de la Première Guerre Mondiale. C'était franco de port.

Les cahiers de crédit, gardés par Josette, témoignent dans chacune de leur page de la vie d'autrefois. Douze cierges, une paire de bas noirs suivi du nom d'une famille indiquent qu'il y a eu un décès. Les affligés ne sortent pas. Ce sont donc les voisins qui font les achats nécessaires et font marquer sur le registre.

Avant la fête votive du village, on trouve les achats de chemises d'homme et de tabliers.

On venait payer à la vente des dindons.

A la campagne les femmes devaient se débrouiller pour le quotidien avec les revenus de la basse-cour. Le troc, des oeufs contre de l'épicerie était monnaie courante !

On trouve également dans ses cahiers de crédit le nom de personnes aisées.

Elles envoyaient leur personnel faire les courses.Le régime alimentaire était différent des autres : par exemple sont inscrits des achats de beurre, denrée noble dans la région.

Une note « raciste » ne peut échapper dans un cahier de 1938. On remarque que les habitants de Lupiac figurent dans le cahier avec leur prénom et le lieu-dit de la ferme. Les étrangers sont inscrits sous le vocable suivant : « Les Italiens de Péhargue, de Bourdette, l'Espagnol de…"

On faisait tout de même crédit mais on tenait à marquer la différence.

A la question sur le commerce de proximité, Josette Aurensan répond par un sourire prolongé qui en dit plus qu’un long discours.

«Il faudrait faire comprendre aux gens qui recherchent leurs racines, parlent d'environnement et de milieu de vie, que le commerce local c'est aussi un élément de la qualité de la vie. »

Nous avons pu le constater lors de notre après-midi d'entretien. Voici la dame qui explique le mal aux dents de son mari et s'étend sur les soins de ce dentiste qu'on lui a « enseigné » ( conseillé). C'est le papy qui, avec une pointe d'humour, demande « des bananes en bon état ».

« C'est d'ailleurs ces relations humaines qui font que je reste en m'efforçant de maintenir mon chiffre d'affaire », confirme Josette.

L'été, ce sont de longs échanges avec les touristes.

« Je leur explique Lupiac avec la passion de quelqu'un qui y a toujours vécu. Ils reviennent.

Pour certains, l'épicerie est une sorte de lieu de pèlerinage.

Bien sûr, les grandes surfaces fascinent. Je crois aussi que leur fréquentation est pour les femmes de la terre une sorte de confirmation de libération. On va en groupe à la cafétéria et on remplit son caddie. Ce que les grandes surfaces ne nous prendront jamais c'est le discours au coin de la caisse qui n'est pas enregistreuse. C'est le cahier où le gamin peut faire marquer sa glace…

Et, tenez, chez moi vous ne trouverez pas un nom sur ce cahier mais uniquement les prénoms... c'est la famille ! »

Pierre DUPOUY

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