« Macron le Suédois » à lire pour comprendre et suivre les réformes

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Rencontre de l’auteur à Bouzon-Gellenave

On a la chance, à Bouzon-Gellenave, de pouvoir rencontrer Alain Lefebvre (1) lorsqu’il occupe sa résidence de France. Le Journal du Gers l’a rencontré le 12 octobre. C’est une chance, entre autres, parce qu’il vient de publier un petit livre (2) qui permet d’abord de comprendre facilement nos systèmes de retraites, les efforts de moralisation de la vie politique, la flexisécurité, la réforme de l’administration, la réforme de la SNCF et celle des prisons. Ensuite il expose clairement les réformes que veut faire Emmanuel Macron en s’inspirant de ce qui s’est fait en Suède.

Les média ne s’y sont pas trompés : Le Figaro, Le Figaro Magazine, Le Monde, Libération et Challenges ont déjà sollicité l’auteur pour parler des systèmes économiques et sociaux des pays scandinaves : au moment où l’on ne parle que d’eux et alors qu’Emmanuel Macron veut expressément s’inspirer de modèles sociaux suédois, il est appréciable d’avoir affaire à un véritable expert...

L’ouvrage permet et permettra de suivre les réformes entreprises en France. L’auteur, disons-le, est sceptique sur les possibilités du président de la République de parvenir à des résultats comparables à ce qui se fait en Suède.

Cela tient notamment aux différences de méthode. En effet, les réformes suédoises sont l’aboutissement de longues négociations entre personnalités importantes de tous les bords politiques et syndicaux, sans participation directe du gouvernement : les Suédois ont pris le temps, alors qu’Emmanuel Macron semble vouloir courir contre la montre et proposer des réformes qui n’ont pas fait l’objet de négociations préalables approfondies. Alain Lefebvre redoute donc qu’un changement de majorité les supprime, si l’ensemble de l’opinion ne se les ait pas appropriées.

Pourquoi cet engouement pour la Suède ?

La « litanie » des réussites nordiques commence à être connue dans le monde et en France. L’opinion publique incline à penser que tout y est mieux dans les domaines socio-économiques. D’ailleurs, les cinq pays scandinaves figurent dans la liste des pays les plus heureux (la France est 31e) et les moins corrompus (la France est 23e). Ils sont en tête pour le nombre de brevets déposés par habitant, l’emploi, la croissance, la recherche et la lutte contre les aberrations climatiques.

Emmanuel Macron, qui déclare « prendre ce qui marche à droite et à gauche », a donc un bel exemple de cette méthode avec la Suède, qui a abouti au consensus droite-gauche, en écartant, toutefois, les partis des négociations sur les grandes réformes. Bien entendu, le président n’a pas manifesté l’intention de transposer le modèle suédois aveuglément : il veut adapter et non copier.

Macron pourra-t-il aller jusqu’au bout ?

L’auteur doute que le président parvienne à ses fins, pour plusieurs raisons. D’abord, au vu de l’exemple que constitue l’opération de moralisation de la vie politique de 2017 : elle n’a pratiquement consisté qu’à interdire l’emploi par les parlementaires de membres de leur famille pour empêcher l’émergence de nouvelles affaires Fillon. En Suède, tout le monde a un accès immédiat aux documents administratifs et financiers relatifs à des dépenses sur fonds publics faites par n’importe quelle personne. En 1995, une ministre a dû partir : elle avait payé une barre de chocolat avec sa carte bancaire publique ! Alain Lefebvre observe que les Suédois considèrent les hommes et les femmes politiques comme leurs employés, alors que nos politiciens se considèrent un peu comme nos souverains...

Avec la description des réformes suédoises présentées dans l’ouvrage, les Français pourront suivre ce qui sera fait réellement. L’auteur souligne que c’est la première fois qu’un gouvernement veut s’inspirer pleinement et sérieusement des pratiques nordiques.

Le chantier brûlant des retraites

La plus brûlante des réformes en chantier est celle des retraites. Face au système français composé de plusieurs dizaines de régimes et de caisses, Emmanuel Macron veut « pour chaque euro versé, un même droit à pension pour tous ». Quel que soit le métier, quels que soient les différents emplois occupés au cours de la carrière. Là aussi, les Suédois ont pris du temps pour aboutir à leur régime actuel. Le régime suédois est un système par répartition. Chaque actif a un compte « notionnel » où sont versées ses cotisations. Le cumul est transformé en pension de retraite en le divisant par un coefficient formé de l’âge du départ et de l’espérance de vie de la génération du retraité au moment du départ. Le résultat donne l’annuité de retraite. Le calcul est refait chaque année et l’annuité versée dépend de la conjoncture : on économise les bonnes années pour ne pas baisser les pensions lors des mauvaises. Le sysème est ainsi toujours à l’équilibre.

La France manifestera-t-elle un consensus politique « suédois », qui assurerait la pérennité d’un tel système ? Certes, certains défauts du système suédois devraient être amendés. Sinon, les carrières plus courtes, pour cause d’études, de chômage, ou de congé de maternité ou de maladie seraient défavorisées.

Réforme de l’administration

L’auteur est particulièrement sceptique sur la méthode employée en France pour réformer l’Administration de l’État. Le Comité CAP22 compte 34 membres : 14 diplômés de l’ENA, 3 de Polytechnique, 3 de HEC, un président diplômé d’Oxford, quelque DEA (diplômés d’études approfondies). Tous des habitués des postes de direction. Seule une syndicaliste a une expérience du travail de base. C’est mal parti, car l’expérience prouve qu’un organisme ne se réforme pas lui-même et qu’il n’abandonne de son plein gré aucune parcelle de son territoire. L’auteur rappelle qu’il y a en France 1 244 agence de l’État qui emploient 442 000 personnes.

En Suède, la décentralisation a été augmentée. En particulier, les comtés (départements) et les municipalités sont devenues maîtres de leur budget. Les ministres n’ont pas de cabinet, mais seulement un attaché de presse : ils travaillent avec leurs administrations. Dans les ministères, il n’y a plus de secrétaire : chacun se débrouille avec Internet, le téléphone ou même des post-it. Il y a deux niveaux hiérarchiques entre le ministre et le rédacteur.

Alors qu’en France, il y a, au minimum, quatre niveaux et le cabinet. L’auteur cite en exemple l’Occitanie au début de 2018 : « il y a un cabinet autour de la présidente. L’administration est dirigée par un directeur général des services assisté d’une secrétaire générale (…) et de cinq conseillers qui constituent un second cabinet. On trouve ensuite huit directeurs généraux délégués et plus de quarante directrices et directeurs, qui, on peut en être sûr, ont sous leurs ordres au moins trois ou quatre sous-directeurs (donc entre cent-vingt et cent soixante personnes) et des chefs de bureau avant d’en arriver à ceux qui font réellement le travail. Multiplié par le nombre de régions, c’est excessif ».

Autres réformes

La comparaison des réformes suédoise et française des chemins-de-fer est tout aussi passionnante, mais la place nous manque…

S’agissant de la flexibilité ou de la flexisécurité, l’auteur explique fort bien qu’il s’agit d’un mythe.

Arrêtons-nous sur la réforme des prisons, avec une simple anecdote.Trois jeunes Français de la région lyonnaise décident de partir en Scandinavie. Ils volent une voiture et en changent quand ils n’ont plus de carburant. Arrivés en Suède, ils cambriolent une station service, font le plein et repartent, mais pas bien loin : la police, alertée par les caméras de la station-service les arrête à un barrage cinq minutes après leur départ. Ils vont en prison. Avertie, la consule de France leur rend visite et leur demande de quoi ils ont besoin. Ils refusent d’abord de lui parler, puis l’un d’eux explique : « Nous ne voulons pas que vous nous aidiez ! Nous ne voulons pas changer de prison ! » Ils étaient très satisfaits de leur vie en prison. Ils disposaient d’une chambre individuelle confortable et de toilettes privées. Un interprète leur avait demandé quelle activité ils désiraient pratiquer (il y a 6 heures de travail obligatoire par jour). L’un travaillait à la cuisine, l’autre comme jardinier et le troisième comme menuisier. Ils accumulaient ainsi 240 euros par mois et disposaient d’autres avantages. Notons que ce régime de prison ouverte s’applique aux condamnés à moins de deux ans et aux fins de peine jugés non-dangereux. Mais il y a deux fois moins de récidives qu’en France.

Beaucoup d’autres situations sont explicitées dans l’ouvrage, tant sur les pesanteurs françaises que sur les méthodes consensuelles suédoises pour traiter des problèmes communs à nos deux pays. Il faut le lire absolument !

(1) Journaliste et essayiste, consultant et spécialistes des questions sociales et des ressources humaines, Alain Lefebvre vit en Finlande. Il a été fonctionnaire européen en Suède. (2) Macron le Suédois par Alain Lefebvre (PUF).

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