Au temps de l'heure solaire

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Dans un coin de la cuisine, un coffret fabriqué par le menuisier du village qui a voulu signer son oeuvre en gravant des fleurs des prés, contient un instrument capital dans la maisonnée: la pendule. Le balancier en cuivre très décoré apparaît dans ses balancements par l'ouverture. Sur le cadran, en chiffres romains, figurent les heures de la journée. Son tic-tac est la vie de la maison. D'ailleurs, quand quelqu'un meurt dans la maison, on arrête la pendule. L'heure indiquée était l'heure solaire, c'est-à-dire celle du soleil. Les paysans sont très attachés au temps qui passe. Mon grand-père avait son horloge: il plantait dans le sol son aiguillade (bâton de labour) et selon la position de l'ombre, il indiquait l'heure. Dans des maisons anciennes, on avait sur une pierre gravé un cadran, l'ombre d'un stylet marquait les heures.

Un autre moyen de repérer le temps était la cloche du village qui s'entendait selon la direction du vent. Je me souviens de l'épicier du village qui avait une montre-gousset et qui ne manquait de faire enrager la Joséphine, la carillonneuse, en lui précisant qu'elle était en retard de 5 à 7 minutes.

Il était un maniaque de l'heure et c'était un cérémonial quotidien que l'affichage de ses horaires d'ouverture: 2 heures-7heures  "heure solaire" 

Il y avait aussi l'heure légale...

Il s'agissait d'une heure de plus que l'heure solaire, ce qui ne manquait pas de créer des problèmes dans les rendez-vous.

Par exemple, un élève devait passer le certificat d'études et avait été convoqué à 9 heures (il s'agissait de l'heure légale); son horloge de la maison était à l'heure solaire; il est arrivé à l'examen avec une heure de retard. On l'autorisa à passer les épreuves et il eut le diplôme.

Changement des rythmes de repas

Au lever, on buvait un verre de café (pas de tasse); chacun avait son verre qui se distinguait par une fleur ou une inscription. Ce café avait été préparé dans la semaine, la cafetière décorée de paysages printaniers comprenait une réserve de trois litres d'eau au-dessus du filtre dans lequel on mettait la dose de café (un tiroir du moulin) et une grande quantité de chicorée. La première coulée avait un goût de café; la grand-mère s'en servait un verre. La quantité de café restait dans la cafetière au bord du foyer toujours prêt à être servi.

Les hommes curaient l'étable avec une large brouette qui allait grossir la fumière où déjà le coq chantait; la volaille avait été lâchée par la fermière qui leur distribuait sur le patus un baquet de graines. On distribuait aussi le foin dans les râteliers; on doublait la fourchée pour la paire de boeufs qui allait tirer le brabant.

Comme on n'avait pas l'eau à l'étable, on lâchait le bétail par petits groupes pour les faire boire à la mare.

9 heures (solaire): ce sera le solide repas pour la journée avec au menu une soupe au pain avec des légumes du jardin -elle était très consistante: la cuillère devait y tenir debout - poulet rôti et frites dorées dans la graisse d'oie ou  jambon grillé ou  lapin de garenne à la sauce à l'ail ou  cuisse de confit ou  tranche de rôti de porc. Au dessert, fruits du verger, chasselas ou muscat cueilli à la vigne des six sillons (plants de raisin de table), pommes "de pommier". On servait ensuite le café et parfois on y ajoutait un petit armagnac tiré d'un flacon ovale très ancien.

Lou brespay (le goûter)

Le laboureur regarde sa montre-gousset: il est deux heures solaire. On arrête l'attelage au bout du sillon. Moi, j'avais pour  rôle de daouantéja (c'est-à-dire marcher en tête de l'attelage pour m'occuper de la 2ème paire de boeufs), travail ennuyeux mais animé par les nombreux oiseaux qui dans le guéret chassent les vers de terre (il y en avait à cette époque-là); j'étais aussi sensible au changement des couleurs de la forêt qui bordait le champ. On attrapait la musette accrochée à un arbre et on sortait le goûter. Il était enveloppé dans un linge blanc où on voyait encore deux initiales brodées H L, nom de jeune fille de ma grand-mère. On avait là les tranches de pain découpées dans les miches de 4 kilos, le saucisson ou la saucisse sèche, un pot de "pâté froid" ( il s'agissait de viande hachée et cuite recouverte d'une fine couche de graisse, la fermeture du pot était faite avec du papier journal retenu par du rafia), des fruits pour le dessert.

Ce repas champêtre pris à l'ombre d'un chêne centenaire avait un goût particulier par rapport au repas pris dans la cuisine de la ferme. Les bœufs ruminaient, on remettait l'attelage dans le sillon et de nouveau la terre se fendait sous le soc et retournée par le versoir, elle luisait sous les rayons du soleil qui commençait à descendre à l'horizon. Je suivais cette descente du soleil car, quand il avait complètement disparu derrière la colline, on dételait le brabant et dans le crépuscule qui assombrissait le sentier, nous gagnions la maison.

On prenait soin des bêtes et on se pressait pour gagner la cuisine où flambait un fagot de bois.On se réchauffait et on gagnait la table éclairée par la lampe à pétrole. C'était de nouveau la soupe, de la salade, des œufs, des restes du poulet de 9 heures et des fruits.

Pierre DUPOUY

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