L’étang de Moura : dernier rempart écologique gersois

Capture d’écran 2021-10-12 000205.jpg

Les sorties ornithologiques de La Tchourre ( société ornithologique gersoise) ont repris, au plus grand bonheur de tous les amoureux des oiseaux dont notre ornithologue émérite attitré, Pierre Foret, qui a la gentillesse de partager avec Le Journal du Gers ses observations et ses photos.

Il était au cours du dernier week-end sur ce haut lieu écologique et historique qu'est l'Etang de Moura (proche de Manciet)

Mais écoutons-le plutôt nous faire le récit de sa sortie :

" Les voiles brumeux matinaux me guident vers une mosaïque de milieux naturels .

Fuyant la N 124 et Nogaro, je m’engage dans les "lieux bas et marécageux" que l’on nomme ici-bas en occitan "Moura".

Le chemin rural en serpentine est déjà bordé de prairies et de landes humides avec ses roselières ou autres herbiers.

Je respire l’influence atlantique et l’odeur pénétrante de la bruyère puis traverse doucement "Espas", ce hameau dans l’espace, comme figé dans le temps.

Ce temps pas si lointain, il y a 10 millions d’années, quand le Bas-Armagnac était un estuaire qui débouchait sur l’Océan.

Je suis à 15 km au sud de Vic-Fezensac mais à l’autre bout du monde.

Je veux marcher sur du sable "chauve", ce transfuge des dépôts marins accumulé depuis la nuit des temps, excellent pour la rétention d’eau.

Après avoir passé la rivière Douze  qui alimente l’étang dans les fonds de vallons argileux, j’arrive enfin dans une zone remarquable: l’étang de Moura,

le plus grand du Bas-Armagnac classé ESN ( Espace Naturel Sensible ) avec ses 17 ha.

Propriétaire du site, le Conseil Général contribue à sa protection avec un programme de valorisation pédagogique ainsi qu’un plan de gestion écologique.

Choc des cultures : étang et arbres anciens séparés du monde moderne par une barrière de bruyère sèche

Cette merveille écologique a échappé à la loi de l’An II sous la Révolution avec l’assèchement de nombreux étangs et sans doute grâce à l’habileté des moines cisterciens : techniciens hydrauliques hors pairs, ils s’étaient improvisés pisciculteurs.

Le moulin et les turbines

Les étangs survivent jusque dans les années 50 avec la pêche traditionnelle de carpes, sandres et brochets ainsi qu'avec le  jonc pour le rampaillage et bien sûr le fonctionnement des moulins.

Aujourd’hui on y trouve 13 espèces protégées -dont la fameuse Cistude d’Europe, la tortue aquatique - et 19 classées sur la liste rouge des espèces menacées en France avec entre autres le coléoptère ‘"Pique-prune" fréquentant les vieux arbres.

L’étang fait aussi la joie des ornithologues - malgré un observatoire mal exposé - avec plus d’une centaine d’espèces d’oiseaux ; certains trouvent là une  zone d’hivernage ou une halte migratoire. On y trouve ainsi une héronnière multi-espèces avec hérons cendrés, garde-bœufs et aigrette garzette.

La société ornithologique gersoise "La Tchourre"

Et toujours cette influence océanique du temps où l’étang était un delta avec la présence de mouettes rieuses, ou encore de limicoles tel le Chevalier aboyeur 

Surprises encore avec une colonie de Spatules blanches pas très communes dans le Gers.

La Bécassine des marais pourtant farouche, se laisse observer facilement pour qui sait attendre...

Ce puzzle de mares entrelacées aux prairies humides lesquelles embrassent les tourbières façonne un écosystème unique .

La chênaie-frênaie assure un corridor écologique prolongé par le charme ou l’aulne glutineux.

Dans cette palette aux teintes variées s’élancent avec grâce haies champêtres et bocagères embellies de bourdaine, de bétoine officinale et de ronce commune . On croit rêver ! Sachant que 18.000 km de haies ont disparu dans le Gers….

C’est une renaissance dont les futures générations devraient sans doute s’inspirer.

Cette richesse écologique et géologique reste pourtant fragile.  Les aménagements des années 70 et 80 ont provoqué érosion et enfoncement du lit de la Douze dus au calibrage et au curage de la rivière.

De nos jours, le Conseil Départemental gère le fonctionnement hydraulique du site. La pêche y est naturellement interdite. Le grand Cormoran en a l’exclusivité sans oublier le martin-pêcheur ou le Balbuzard pêcheur !

Ce retour vers le futur est à vivre au réveil des sens baigné dans les brumes. Entre cris et chuchotements...

Photo- titre : L’ancien déversoir du XIX éme au pied d’une "ripisylve"( boisement des berges)

Texte et photos : Pierre FORET
 

Publicité
Suggestion d'articles
Suggestion d'articles